Guy Chaty



Silvaine Arabo, huile sur toile 1996.

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LE VIEUX CIMETIERE

Dans le vieux cimetière

les racines enfouies se mêlent

aux morts

et les pointes des grilles basculées

          témoins des anciens cultes

provoquent les vivants

Extrait de "Au jour : Le Jour ; Et quand le sentiment sourd"  (IHV 1986).

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À QUOI PENSENT LES OISEAUX

A quoi pensent les oiseaux

quand ils volent ?

          une mouette sur la mer

          corps fixe, ailes battantes

                  elle entend   quoi

                  son sang    le vent ?

                  vire et plane

                  oeil têtu

        le voulant, se soulève

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Oiseau j'aurais pu être

enfermé dans ce corps lourd          qui vole

regardant par ces yeux noirs

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moi planté sur le sable bercé par l'océan

        j'entends       chant continu

        le vent         mon sang

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demain la terre encore

         et les mouettes sur la mer

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A quoi pensent les oiseaux

quand ils volent ?

Extrait de "Au jour : Le Jour ; Et quand le sentiment sourd"  (IHV 1986)

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POURTANT ON L'AIMAIT BEAUCOUP AUSSI

       Vraiment de loin on aurait cru un homme un homme en réduction

mais Zao c'était le nom qu'on lui avait donné était un petit animal enfin je

crois Il comprenait tout s'attachait à vous vraiment on aurait cru un homme

mais en réduction

       Tiu était moins intelligent plus sautillant et petit alors petit ! Souvent

on le perdait mais où est-il ? et on avait peur de marcher dessus par inadver-

tance

       Ouka lui avait une tête de lapin il nous sautait au cou on l'aimait beau-

coup aussi Un soir il n'y avait pas de viande pour le dîner on dut manger

Ouka ce fut bien triste on reconnaissait les morceaux on reconnaissait les

morceaux pourtant on l'aimait beaucoup aussi il nous sautait au cou

Extrait de "Contes Cruels"  (Edit. Editinter, 1998)

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UN ÉCORCHÉ

C'est un écorché vif

ce gars qui n'a jamais eu de peau,

d'une sensibilité inouïe.

Dès qu'un mot l'effleure

Aïe ça lui fait mal

Une phrase l'assassine : que de mots !

un point le met KO

Pas la peine de lui décocher un trait

pour le piquer au vif

un jet de cil, une syllabe

suffit

Un flot de paroles

et il saigne. . .

Mais parlez-lui quand même

car le silence l'étouffe.

Extrait de "Des Mots pour le Rire"  (Editions Editinter, 2000).

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EXCUSEZ-MOI D'ÊTRE VIEUX

   Je suis vieux. Ce n'est pas ma faute. Si cela n'avait dépendu que de moi, je serais

resté jeune. Mais on ne m'a pas demandé mon avis. Petit à petit, je me suis délabré. J'ai

toujours l'impression d'être jeune, mais d'après les réactions des autres et les réflexions

de mon miroir, il semble que ce ne soit plus la vérité.

   Le feuillage a jauni sur moi peu à peu sans que je m'en aperçoive. Pendant que

je changeais à peine de l'intérieur la façade exposée aux autres s'est décrépie et aucun

ravalement ne pourra l'améliorer.

   C'est une vilaine chose qui m'arrive là.

   Qui m'a fait cela ? Qui a posé sur moi sans que je m'en aperçoive les signes extérieurs

de décrépitude ?

   Vraiment ce n'est pas ma faute.

   Excusez-moi d'être aussi vieux.

    Vous pouvez rigoler, ça vous arrivera aussi. Mais Dieu soit loué, vous n'y croyez

pas encore. Moi non plus je n'y croyais pas. Je pensais que les vieux avaient toujours été

vieux, qu'ils formaient comme une race. J'en croisais dans certains villages à des années

d'intervalles et je croyais qu'il s'agissait des mêmes. Mais non. Ce n'étaient pas les mê-

mes. Il y a comme un renouvellement de vieux, un apport de sang neuf, il y a des vieux

qui viennent de devenir vieux. Il y a de jeunes vieux. Les vieux vieux sont morts, eux.

Ils en avaient assez d'être vieux, les autres aussi d'ailleurs de les voir de plus en plus

vieux.

   Moi ça va encore, je suis un jeune vieux pas envieux. Je commence seulement mon

temps de vieux. Oh, je ne me fais pas d'illusions, ce ne sera pas un nouvelle jeunesse

mais je vais vivre encore un bon moment j'espère, et mieux : de bons moments.

   Je suis là devant vous; devant vous vous avez une nouvelle vieillesse.

   Et moi, devant moi, qu'est-ce que j'ai ?

   Et moi, devant moi ?

Extrait de "Des Mots pour le Rire"  (Editions Editinter, 2000).

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CIVILISATION

Roule l'édredon de la mer

s'affole et s'accroche

aux buissons d'épines

et les plumes

comme une écume folle

volent

au-dessus des déchets

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IL Y AVAIT AUSSI

il y avait aussi,

mais plus pour très longtemps

des vols hésitants de mains,

aux doigts effilés

des morceaux de temps vides

des soupirs arrêtés,

à moitié de leur course

et un papillon rouge,

qui se cognait aux murs

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LENTEUR

Jour finissant

    tiédeur

           village lorrain

rue vieille qui revient des champs

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la lenteur des chevaux

  et des choses comme ça

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LE GRAND DÉPART

Petit enfant

à peine un jour

tous te regardent et s'exclament

et toi tu ne vois personne

concentré sur ton corps derrière tes paupières

tu n'es pas loin du paradis mais tu as franchi les bords

te souviens-tu déjà de cet espace perdu ?

tu ne sembles pas le regretter dans ta nouvelle chaleur

Silencieuse la vie dans son élan met toute sa machinerie

à te fabriquer cellules, nerfs et connexions

dans des milliards d'agitations qui te laissent tranquille

Parfois tu entrouvres un oeil et le refermes vite

comme si ça n'en valait pas encore la peine

tu as tant de choses à faire... et à regarder encore

s'éloigner la terre promise.

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L'ÉTROIT PASSAGE

Un infirme

sur un trottoir

tricotait

laborieusement

son chemin

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Une femme

d'envergure

ambulait

superbement

l'opposé

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Un enfant

d'un bord à l'autre

bondissait

joyeusement

sur ses pieds

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TON CORPS

Ton corps est fait de neige

ma main se glisse dans les flocons

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Ton corps est fait de plomb

ma main en éprouve le poids

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Ton corps est fait de bois

ma main en lisse 1'écorce

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Ton corps est fait de force

ma main en mesure les lignes

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Ton corps est fait de vigne

ma main en cueille les grappes

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ton corps est fait de neige

ma main en éprouve le poids

.

ton corps est fait de bois

ma main en mesure les lignes

.

ton corps est fait de vigne

ma main en lisse l'écorce

.

ton corps est fait de force

ma main se glisse dans les flocons

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CHEVELURE

Une femme

de ma fenêtre

joue sa chevelure

la répand au soleil

se penche, visage caché

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le rideau flotte, sensuel

toison souple et soyeuse

parole brune et chaude

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La femme lève la tête

dévoile son visage pâle

Sur son dos maintenant

les cheveux sages et secs

errent et se balancent

sur les côtés

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Notice bio-bibliographique

Guy CHATY - Né en 1934, habite à Paris. Professeur émérite à l'Université Paris

Nord. Il se consacre à des activités scientifiques, littéraires et artistiques. Ses écrits

portent un regard tendre et compatissant sur l'homme, ou critique et drôle sur no-

tre monde et nous-mêmes. Certains d'entre eux, poèmes, nouvelles, chansons, essais,

ont été publiés depuis 1977 dans des journaux, une quarantaine de revues - réguliè-

rement pour certaines - et dans sept recueils (1). Il met en scène et joue des montages

de ses textes et chansons et initie des débutants au "dire" des textes courts.

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(1) "J'ai laissé mourir le soir" (Ed. St-G.-des-P. 1979); "Un lièvre explosa"  (Ed. St-G.-

des-P. 1982); "Au jour : Le Jour ; Et quand le sentiment sourd"  (IHV 1986); "L'Ame

des Pierres"  (Ed. Résurrection 1993); "Anatole et son chat"  (IHV 1998); "Contes Cruels"

(Editinter 1998); "Des Mots pour le Rire", Avant-Propos de Jean L'Anselme (Editinter 2000).

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Certains textes ont pu être reproduits grâce à l'aimable autorisation des Editions IHV et Editinter.

Qu'elles trouvent ici l'expression de nos remerciements. (S.A.)

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(Page compilée par Silvaine Arabo)

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